II Voix Africaines
ANGOLAISE
Arlindo Barbeitos1
Oh fleur de la nuit
Oh fleur de la nuit où toute la rosée est perdue
tes yeux ne sont pas des étoiles
ce ne sont pas des colibris
tes yeux ce sont d'immenses gouffres
où dans le noir tout un passé se cache
tes yeux ce sont d'immenses gouffres
où dans le noir tout un avenir se forme
oh fleur de la nuit où toute la rosée est perdue
tes yeux ne sont pas des étoiles
ce ne sont pas des colibris
BANTOUE
anonyme
Feu
Feu que les hommes regardent dans la nuit, dans la nuit profonde,
Feu qui brûles et ne chauffes pas, qui brilles et ne brûles pas.
Feu qui voles sans corps, sans coeur, qui ne connais case ni foyer,
Feu transparent des palmes, un homme sans peur t'invoque.
Feu des sorciers, ton père est où ?
Ta mère est où ? Qui t'a nourri ?
Tu es ton père, tu es ta mère, tu passes et ne laisses traces.
Le bois sec ne t'engendre, tu n'as pas les cendres pour filles, tu meurs
et ne meurs pas.
L'âme errante se transforme en toi, et nul ne le sait.
Feu des sorciers, Esprit des eaux inférieures, Esprit des airs
supérieurs,
Fulgore qui brilles, luciole qui illumines le marais,
Oiseau sans ailes, matière sans corps,
Esprit de la Force du Feu,
Écoute ma voix : un homme sans peur t'invoque2
BENINOISE
Noureini Tidjani-Serpos3
Maison de rêve
Venez donc à la maison Demain !
Je ne serai pas là ce n'est pas grave
Venez donc à la maison
Elle est bâtie sur pilotis de cristaux en sucre
Ma maison.
Les meubles sont en dragées
Et les assiettes des morceaux de miel
Venez donc à la maison
C'est une demeure construite
Selon les plans de tous les enfants de la terre
Venez
Venez donc petits enfants
Le royaume des rêves est notre demeure.
BURKINABE
Bernadette Sanou Dao4
Un enfant
Un enfant est un enfant
Il n'est ni blanc ni jaune Il n'est pas noir
Il est couleur d'enfant !
Il n'est ni riche ni pauvre
Il est trésor en soi
Un enfant est un enfant
Il n'est ni d'Est ni du Sud Il n'est pas du nord, il n'est pas d'Ouest
Il est du pays d'Enfance
Il n'est ni de droite ni de gauche
Il est du sigle ENFANT
Un enfant est un enfant Il est du pays d'Enfance
Gommez haies et barrières Inconnues au pays d'Enfance
Gommez les haies vives vous êtes au pays d'Enfance
Le pays des rêves bleus.
CAMEROUNAISE
Pour ton anniversaire
Je t'achèterai un collier de perles dans une armurerie
Un drone et une kalachnikov dans une démocratie
Je t'achèterai la liberté de la presse dans une dictature
Et les droits de l'homme dans un cachot.
Et pourquoi éclateras-tu en sanglots ?
Je t'achèterai la paix dans une industrie de l'armement
L'égalité et la justice dans une tyrannie
Je t'achèterai la plus belle République dans une dynastie
Et le bon sens dans un mouvement terroriste.
Et pourquoi seras-tu endeuillée ?
Je t'achèterai un bouquet de roses dans un camp de réfugiés
L'acceptation et la tolérance dans l'univers des religions
Je t'achèterai une bague dorée dans un arsenal
Et des pierres précieuses dans le Tiers-Monde.
Et pourquoi t'attristeras-tu ?
Je t'achèterai le pardon dans une société génocidaire
Le respect et la fraternité dans une société raciste
Je t'achèterai l'aujourd'hui dans le monde de demain
Et tout ce que j'aurais choisi pour ton anniversaire.
Et pourquoi seras-tu malheureuse ?
René Philombé5
L'homme qui te ressemble
J'ai frappé à ta porte, j'ai frappé à ton cœur,
Pour avoir bon lit, pour avoir bon feu.
Pourquoi me repousser ?
Ouvre-moi mon frère !
Pourquoi me demander si je suis d'Afrique, si je suis d'Amérique,
Si je suis d'Asie, si je suis d'Europe ?
Ouvre-moi mon frère !
Pourquoi me demander la longueur de mon nez,
L'épaisseur de ma bouche, la couleur de ma peau,
Et le nom de mes dieux ?
Ouvre-moi mon frère !
Je ne suis pas un noir, je ne suis pas un rouge,
Je ne suis pas un jaune, je ne suis pas un blanc,
Mais je ne suis qu'un homme.
Ouvre-moi mon frère !
Ouvre-moi ta porte, ouvre-moi ton cœur,
Car je suis un homme, l'homme de tous les temps
L'homme de tous les cieux, l'homme qui te ressemble...
CONGOLAISE
Jean-Baptiste Tati Loutard6
Baobab
« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi
Et racler mes racines à tes racines d'ancêtre ;
Je me donne en rêve tes bras noueux
Et je me sens raffermi quand ton sang fort
Passe dans mon sang.
Baobab ! « l'homme vaut ce que valent ses armes ».
C'est l'écriteau qui se balance à toute porte de ce monde.
Où vais-je puiser tant de forces pour tant de luttes
Si à ton pied je ne m'arc-boute ?
Baobab ! Quand je serai tout triste
Ayant perdu l'air de toute chanson,
Agite pour moi les gosiers de tes oiseaux
Afin qu'à vivre ils m'exhortent.
Et quand faiblira le sol sous mes pas
Laisse-moi remuer la terre à ton pied :
Que doucement sur moi elle se retourne ! »
ÉGYPTIENNE
Salah Jahin7
Thé au Lait
Quatre mains au petit déjeuner
Quatre lèvres buvant du thé avec du lait,
s'embrassant, embrassant la lumière du jour
entre sa poitrine et la sienne, entre les deux sourires
Et embrassant l'amour qui les a réunis
Au petit déjeuner.
Ils embrassent le soleil qui remue les tentures,
Et se glisse entre leurs fils, avec la brise,
et dans la chambre pour se tracer sur le sol,
sur le tapis, qu'ils ont acheté avec leur mobilier de mariage,
sur l'amour qu'ils ont acheté sans argent
et sur le verre.
Ils boivent du thé au lait en deux coups
Au petit-déjeuner à quatre mains et deux alliances.
Ils réveillent mon cœur chaque nuit dans mes rêves
Dans une lumière vive, la couleur de la pistache
sur l'espace noir et sur la paupière endormie
ils écrivent le mot : Paix.
GUINÉENNE
Amilcar Cabral8
Non, Poésie...
... Non, Poésie :
Ne te cache pas dans les cavernes de mon être, ne fuis pas la Vie.
Brise les barreaux invisibles de ma prison, ouvre grand les portes de
mon être
-- sors...
Sors pour lutter (la vie est lutte)
Les hommes au-dehors t'appellent, et toi aussi, Poésie, tu es Homme.
Aime les Poésies du Monde entier, -- aime les Hommes
Adresse tes poèmes à toutes les races, à toutes les choses.
Confonds-toi avec moi...
Va, Poésie :
Prends mes bras pour embrasser le Monde, donne-moi tes bras pour que
j'embrasse la Vie.
Je suis ma Poésie9.
Vasco Cabral10
Le mendiant
Les mains du mendiant ces mains qui se tendent vers moi
ont leur histoire : une histoire qui tient
sur une tête d'épingle.
Ces mains qui espèrent mon obole n'ont jamais touché le parfum des
roses,
ne connaissent pas les secrets de la fleur.
Ces mains qui se tendent vers moi
pauvres et suppliantes en une prière muette
furent, en un temps de misère déjà, des mains d'enfant.
Je donne l'aumône et m'en vais.
Je m'en vais pour ne pas entendre le murmure de douleur
l'histoire de dix doigts qui tient sur une tête d'épingle !
Ces mains qui se tendent vers moi sont comme une hallucination la nuit.
Jusqu'à ce que des millions de mains connaissent le parfum des roses
et les secrets de la fleur.
Et que chaque histoire humaine tienne, au moins,
dans la paume d'une main11 !
IVOIRIENNE
Bernard Dadié12
Tes mains
Dans les battements de tes mains d'ange,
J'entends tous les tam-tams accordés,
Toutes les chansons de l'Univers.
Et lorsque je les tiens, tes mains,
Je tiens toutes les mains roses des Aurores,
Toutes les mains vierges des Espoirs,
La main des siècles en guipure au temps,
La main des Êtres.
Noël X. Ebony13
je me souviendrai...
je me souviendrai toujours de ceux d'entre eux qui ne
m'ont pas vu grandir et qui sont morts avant que j'ai su
dire leur nom certains passaient le soir devant la cour des
femmes où je reposais dans les bras de mes mères et
parfois ces hommes à vieille barbe jouaient avec ma joue
ou titillaient mon membre goguenards d'autres
m'écoutaient pleurer des cris lointains et me prenaient dans
leurs bras pour me câliner et je criais encor plus fort
et plus loin et tous à l'unisson de père disaient
impuissants cet enfant qu'on me le laisse dire cet enfant-là
il sera poëte
et alors brusquement je me calmais et faisais risette à
la ronde
combien de temps est passé depuis
nus nous marcherons
nus nous marcherons sous la lune guillerets nous devi-
serons et nous deviserons et nous badinerons et nous
folâtrerons nous marcherons jusqu'au bout de la lune à
la limite de la nuit nous courrons jusqu'à la rivière
nous mêler à la baignade des prêtresses mères de la ri-
vière des neuf rivières nous chargerons notre mémoire
de leur indulgence nous nous épouserons sur la branche
vermoulue qui cause à l'eau plane devant nanan assiey
et tu te souviendras
bukam
Maurice Koné14
Comme sur une branche
La poésie comme un oiseau
S'est posée sur mort cœur
Comme sur une branche
Et son chant vibre autour de moi.
Je suis semblable à cet arbre
Qui ne porte aucun fruit
Mais donne pourtant de l'ombre
La poésie comme un oiseau
S'est pose sur mon cœur
Comme une branche
Et c'est par son chant que l'on m'aime.
Véronique Tadjo15
Crocodile
Ce n'est pas facile d'être un crocodile
Surtout si on n'a pas envie d'être un crocodile
Celui que vous voyez n'est pas bien dans sa peau de croco
Il aurait aimé être différent
Il aurait aimé attirer les enfants
Jouer avec eux
Converser avec les parents
Se balader dans Le village
Mais, mais, mais
Quand il sort De l'eau
Les pêcheurs lancent des sagaies
Les gamins détalent
Les jeunes filles abandonnent leurs canaris
Sa vie est une vie de solitude et de tristesse
Sans ami sans caresse
Nulle part où aller
Partout étranger
Un crocodile
Crocodile végétarien
Et bon à rien
Qui a une sainte horreur du sang
S'il vous plaît écrivez à :
Gentil Crocodile
Baie no 3
Fleuve Niger
MAGHRÉBINE
Rachid Boudjedra 16
Alphabétisation
À quoi servent mes poèmes si ma mère ne sait me lire ?
Ma mère a vingt ans elle ne veut plus souffrir
Ce soir elle viendra épeler mes lettres
Et demain elle saura écrire
Émancipation.
À quoi servent mes poèmes si mon père ne sait me lire ?
Mon père a cent ans il n'a pas vu la mer
Ce soir il viendra épeler mes lettres
Et demain il saura lire
Dignité.
À quoi servent mes poèmes si mon copain ne sait me lire ?
Mon copain n'a pas d'âge il a vécu dans les prisons
Ce soir il viendra épeler mes lettres
Et demain il saura crier
Liberté.
Abou el Kacem Chebbi17
La volonté de vivre
Lorsqu'un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le Destin, de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser.
Avec fracas, le vent souffle dans les ravins,
au sommet des montagnes et sous les arbres disant :
"Lorsque je tends vers un but,
je me fais porter par l'espoir
et oublie toute prudence ;
Je n'évite pas les chemins escarpés
et n'appréhende pas la chute
dans un feu brûlant.
Qui n'aime pas gravir la montagne,
vivra éternellement au fond des ravins".
(...)
La lumière est dans mon coeur et mon âme,
Pourquoi aurais-je peur de marcher dans l'obscurité ?
Je voudrais ne jamais être venu en ce monde
Et n'avoir jamais nagé parmi les étoiles.
Je voudrais que l'aube n'ait jamais embrassé mes rêves
Et que la lumière n'ait jamais caressé mes yeux.
Je voudrais n'avoir jamais cessé d'être ce que j'étais,
Une lumière libre répandue sur toute l'existence.
Dix-sept Ritournelles des Heddar et mauritaniennes
Sidiya Ould Mohamed Ould Heddar (1863-1945)
Ainsi donc, aller au puits, aller à Saint-Louis,
Au marché aux bestiaux, soigner vache et chameau,
Babacar n'en a cure et Babacar s'en moque ?
Eh ! non, de tout cela Babacar n'a que faire.
Partir, partir, comment pourrait-il y songer ?
Il y a là-bas une beauté, je le sais,
Qu'on ne saurait, pas même un seul instant, quitter.
M'Hamed Ould Mohamed Ould Heddar (1855-1947)
Volli est venue camper sur ma chère petite dune
certains lieux ont un privilège
que d'autres n'ont pas.
Ô Khadeidjat ! Quand tu ris tu nous tues,
Reste avec l'hôte qui nous est venu,
Tu peux vers lui te pencher en riant,
Mais cesse de rire pour moi, ô toi
Muḥāmmad wuld Muḥāmmad Maḥmūd
Voilà la dune du rendez-vous
et cette place était celle où elle s'asseyait
Il s'y trouvait des jeunes filles
qui partageaient nos causeries
C'est ici que je la rencontrais
lorsqu'elle habitait la localité
Actuellement il n'y a plus personne
et je pleure cette plaine
Mais je ne dois pas pleurer
car la plaine est toujours présente ainsi que les dunes
Aussi puis-je revenir tous les soirs auprès de cette plaine
pour la saluer
[... ]
Mais je ne passerai pas voir cette plaine
car j'ai peur que d'autres personnes
découvrent son existence
et viennent la visiter à ma suite.
Mes lancinantes nostalgies ont été douloureusement réveillées
par les traces devenues presque invisibles du séjour d'un campement
La main du temps avait tout effacé, hormis des indices ressemblant à
de mystérieuses inscriptions ou à des restes de tatouages
Ces lieux étaient des pâturages de prédilection pour l'Amour et les
plaisirs...
.
Muḥāmmad Baba wuld Brahīm Khalīl
Assez tard, vers le milieu de la nuit,
est arrivé un chamelier
Sa monture était élancée,
il était à la recherche
d'une chamelle et d'un chameau égarés.
Je lui ai dit que je n'avais aucun indice
sur son troupeau
car généralement je ne m'occupe pas du bétail
Mais cependant on ne peut être sûr de rien
et j'ai pu toutefois lui donner un renseignement :
tantôt, j'ai vu Mana
sourire à son enfant
Tahar ben Jelloun18
Dans cette maison ouverte
Dans cette maison ouverte sur le ciel
on a versé du lait dans les coins
et éparpillé du sel dans les patios.
Le chat dort sur le piano
le lion aux yeux tendres
mange l'agneau du sacrifice
le serpent à sonnette danse dans la cour
des fourmis vont à un enterrement
un singe peint en bleu s'ennuie
le citronnier manque d'eau
les meubles se déplacent et forcent la porte
un fleuriste s'évanouit
une femme aux seins nus tire à l'arc
pendant qu'une esclave noire
égorge des coqs sur la terrasse.
Le sang coule sur les murs.
L'enfant dit : enfin une maison où il se passe des choses !
Abdellatif Laâbi19
Cent fois
Cent fois j'ai voulu écrire un poème
cent fois je me suis arrêté au premier mot
et j'ai commencé à vivre le poème
en imagination
alors il se déployait en musique intérieure
en images sans bride de circonlocutions
en incantations lyriques sans paroles
et quand je revenais à moi
et regardais la page blanche
il n'y avait plus rien à écrire
Le poème était déjà parti
bouteille à la mer
météorite du partage
Kateb Yacine20
Et ce serait vivre à tes genoux
Parmi les éclats de tes jeunes rires,
L'on entend siffler l'oiseau des savanes,
Avec le murmure ailé du zéphyr
Et le chant plaintif des peuples d'amour...
Toi, mignonne aux yeux plus noirs que mon âme,
Fais ma place dans ta couche douillette,
Je te chanterai des refrains de feu !...
Au cœur de la rose on meurt de parfums,
Ma lèvre frissonne au vent des baisers...
Plus rouge que sang fais couler ta lèvre !
Femme obscure et dont l'œil égale la rancune,
Prends-moi, voici l'instant des mêlées furieuses.
Que se parent de sang nos chairs voluptueuses !
Regarde ! Me voici plus pâle que la lune,
Agenouillé devant l'image de ton charme...
J'attends. Et mon cœur passe d'alarme en alarme.
C'est l'instant de mon malheur,
L'heure où décembre, en sa pâleur, pleure.
Mais, quoique toute clameur se meure,
En moi ton rire charmeur demeure...
NIGÉRIANE
Catherine Obianuju Acholonu21
Homme seul
la foudre déchire le ciel en deux
l'ouragan rugissant avance avec le feu
versant du sable noir chaud dans vos yeux
puissant faucon mortel
douche pierres chaudes
gouttes pots de la mort
écoutez et n'entendez
rien
rien que le bruit des pas pressés derrière vous
qui résonnent dans la nuit
vous accélérez vos pas
une paire d'yeux effrayés qui regardent en arrière
des lèvres desséchées se frappent l'une contre l'autre
pressant les mots secs
seul
homme seul
ces années partagées mois jours
se réduisent au néant
rien ne reste qu'un vide infini
l'horreur de la découverte
que tu es un homme seul
Akinwumi Isola22
Sans le vouloir
Dans ma prime enfance, je croyais que le Monde allait droit :
Je marchais librement, Je parlais sans gêne,
Je levais les jambes, Je donnais des coups à tout va
Je finissais de manger, Je dormais le ventre plein
Je n'avais que des amis, Je n'avais pas d'ennemis.
Le Monde entier paraissait si paternel.
Peu de temps après Ils ont dit que je mûrissais.
Si je riais beaucoup, Je recevais un coup sur le crâne.
Si je parlais de ce que je voyais, Ils me giflaient sur la bouche.
La colombe est dans la forêt,
Elle étend les ailes Mais une fois apprivoisée,
Elle boit de l'eau dans une boîte de conserve.
Les affaires de ce Monde, quel mystère !
Le coq saute sur le toit, Il chante fort.
Quand il descend, nous lui ôtons les plumes des ailes, entièrement.
Alors il devient un oiseau qui chante sous l'arbre.
Le monde n'aime pas tant le coq que la volaille.
Un ancien avait le nez sale, Je l'ai fait remarquer ; j'ai été fouetté.
Un petit enfant a uriné dans la marmite de soupe. Je l'ai dit, j'ai été
puni.
Je dis : « On devrait dire les choses comme on les voit. »
Le Monde dit : « même si les yeux voient, la bouche doit se taire ».
Ne voyez-vous pas que le monde tel qu'il se montre ?
Sans le vouloir,
Le Monde peut détruire la sagesse au cœur de chacun
Sans le vouloir.
Niyi Osundaré23
Vœux
J'aimerais pouvoir encore rire avec le lotus
Sur la rive du Nil
Enlever mes vêtements
et plonger dans le Zambèze
Me joindre aux danseurs spirituels
Au milieu du Gange
Rompre avec le Rio
Au tonnerre de la samba
Éventer le visage du Yangtsé
avec l'éventail de la lune
Taquiner la Tamise
avec un pied déchaussé
Embrasser la Volga
à bras ouverts
Demander au Mississippi
Pour un bol d'eau...
Hélas, entre la tasse et la lèvre
Un acre de souhaits
Mabel Segun24
Mauvaise destination
J'ai loué un avion et j'y ai pensé.
"Emmenez-nous" dis-je au pilote
"À cet endroit où je crois que les
Pensées peuvent se développer,
Abreuvées par l'imagination,
Nourries de liberté."
Mais l'avion a été détourné et emmené dans un endroit
où rien ne poussait que des mauvaises herbes.
Mes pensées se sont efforcées avec tant de courage
De grandir parmi les mauvaises herbes,
Mais elles ont été étouffées à mort,
Les mauvaises herbes les ont étouffées, Mon Dieu !
Maintenant je suis sans mes pensées ;
Ils m'en ont donné de nouvelles,
Mais nous ne nous entendons pas ---
Ce sont les pensées de quelqu'un d'autre,
Pas les miennes.
SÉNÉGALAISE
Souleymane Diamanka25
Réponds-lui avec de l'eau
Si quelqu'un te parle avec des flammes
Répond-lui avec de l'eau
Sache que le seul combat qui se gagne
C'est le duel qui devient duo
Je sais que les braves savent se battre
Et lutter pour leurs droits jusqu'à l'aube
Mais dis-leur que la paix guérit et la guerre périt
Quand la plus belle âme des deux ennemis pardonnent à l'autre
Si quelqu'un te parle avec des flammes
Répond-lui avec de l'eau demain il sera des nôtres
Dehors ceux qui se nourrissent de l'éclat de l'or
Essaient de faire peur aux pauvres
Il fait sombre dans les songes que l'orateur peul colore
Mais il paraît que l'heure la plus noire de la nuit précède de peu
l'aurore
Trop de colères qui courent les rues
Avec des pleines lunes dans le dos
Par pitié si quelqu'un te parle avec des flammes
Répond-lui avec de l'eau
Birago Diop26
Ceux qui sont morts...
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l'arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l'eau qui coule,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts. »
Léopold Sedar Senghor27
Cher frère blanc
Quand je suis né, j'étais noir,
Quand j'ai grandi, j'étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.
Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.
Alors, de nous deux,
Qui est l'homme de couleur ?
Prière aux masques
Masques ! Ô Masques !
Masques noirs masques rouges, vous masques blanc-et-noir
Masques aux quatre points d'où souffle l'Esprit
Je vous salue dans le silence !
Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion.
Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se
fane
Vous distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes Pères.
Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de
toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l'autel de
papier blanc
A votre image, écoutez-moi !
Voici que meurt l'Afrique des empires -- c'est l'agonie d'une princesse
pitoyable
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l'on commande
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.
Que nous répondions présents à la renaissance du Monde
Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des
canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à
l'aurore ?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventrés ?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds
reprennent vigueur en frappant le sol dur.
SOMALIENNE
Maxamed Ibraahin Warsame'Hadraawi'28
L'essence de la vie (extrait)
Écoute-moi, Sahra, et fais attention :
la mer et le fracas de ses vagues, les contours imposants des montagnes
;
le grondement du tonnerre, ce bruit assourdissant ;
la foudre et sa terreur, l'approche hurlante de la tempête -
n'aies pas peur de ceux-ci :
ce monde est fait pour t'obéir alors traite-le avec gentillesse,
amadoue-le avec conscience comme si c'était ton cheval, fais-en ton aide
;
ce monde enveloppé de brume est une jeune fille,
traite-la donc avec une tendre patience,
Que ton toucher soit léger et doux en cueillant les fruits qu'elle
porte,
la richesse sous sa surface :
laissez son rendement augmenter et sauve ses enfants du besoin ;
assure-toi qu'elle est toujours en paix et reste dans la sérénité ;
qu'elle ne souffre aucun mal.
Ne marche pas sur cette terre sans réfléchir,
libère-la du conflit constant,
ne jamais réveiller le napalm, le canon étouffé d'obus ;
n'appelle pas le navire de guerre, le bourdonnement du sous-marin,
et tous ces libérateurs de la mort.
N'utilise pas de missiles contre elle, ou la folle sophistication des
armes ;
n'empoisonne pas sa douceur.
Ne coupe pas les espaces verts avec des lames,
défigurant sa forme, sa beauté et sa fraîcheur ;
ne déchire pas son voile, le crépuscule et ses nuages ;
ne fais pas de mal aux créatures qui vivent sur elle,
l'oryx et autres animaux sauvages ;
ne dérange pas leur imbrication,
enlevant la couche la plus externe de la Terre ou déstabilisant ses
fondements.
Ne souffle pas le dernier atout, pour terminer en une seule journée -
quand tu entends son plus grand gémissement
précipite-toi pour la réconforter avec applaudissements et youyou :
la science ne doit pas être utilisée pour en faire une victime.
Laissez sa bienveillance vous mûrir,
puis passe-la à un successeur digne de confiance
qui suivra ton chemin.
Laide
Votre fille est moche. Elle connaît intimement la perte, porte des villes entières dans son ventre.
Enfant, les parents ne la retenaient pas. C'était du bois éclaté et de
l'eau de mer. Ils ont dit qu'elle leur rappelait la guerre.
Le jour de son quinzième anniversaire, vous lui avez appris à attacher
ses cheveux comme une corde et à les fumer sur de l'encens brûlant.
Tu lui as fait gargariser de l'eau de rose et pendant qu'elle toussait,
dit les filles macaanto comme il ne faut pas sentir la solitude ou le
vide.
Vous êtes sa mère.
Pourquoi ne pas l'avoir prévenue, la tenir comme un bateau pourri
et lui dire que les hommes ne l'aimeront pas si elle est couverte de
continents,
si ses dents sont de petites colonies,
si son ventre est une île
si ses cuisses sont des frontières ?
Quel homme veut s'allonger et regarder le monde brûler dans sa chambre ?
Le visage de votre fille est une petite émeute,
ses mains sont une guerre civile,
un camp de réfugiés derrière chaque oreille,
un corps jonché de choses laides
mais Dieu,
elle ne porte pas bien le monde.
SUD-AFRICAINE
Ronelda Kamfer29
Boire
Certains jours je bois trop
certains autres trop peu
mais
jamais je ne bois juste ce qu'il faut
quand je suis saoule je parle trop
quand je suis sobre j'écris trop
jamais je ne parle ni n'écris juste ce qu'il faut
Je sais bien que si j'arrivais à faire correctement ne serait-ce qu'une
chose, une seule
je ne me sentirais pas aussi nulle à cause du reste
SWAHILIE30 ET ANGLO-KENYANNE
Ali Al'amin Mazrui31
Porte
Soit tu y vas par cette porte ou tu ne le fais pas.
Si tu passes par là il y a un danger d'oublier ton nom. C'est le
problème.
Tout te regarde deux fois honteux, tu détournes le regard, tu as laissé
faire.
Tu peux ne pas chercher le combat.
Si tu ne passes pas peut-être auras-tu une belle vie
Tu défendras tes idéaux tu vas continuer ton travail
Tu mourras en héros dans ton pays.
Mais peut-être que beaucoup de choses t'échapperont
Tu seras aveugle à beaucoup de choses
A quel prix ? Je ne sais pas.
La porte elle-même ne peut pas prendre ta décision
ce n'est qu'une porte32 !
Wanjiku Mwaurah33
Peurs sombres
J'ai peur de regarder dans la noirceur de mes paupières
J'ai peur de l'immensité intérieure qui me noie
J'ai peur de rendre mes pensées plus claires
J'ai peur de me permettre de voir, derrière les paupières
J'ai peur d'entrer dans mes rêves la nuit
J'ai peur de ne pas m'en sortir le rêve vivant
Peur des peurs induites par le méchant dans mes rêves
Peur de ne pas courir assez vite pour m'en éloigner
J'ai peur des décisions armées contre moi
Chacun avec une raison pour laquelle je devrais le choisir
Peur des conséquences tirées sur leurs visages
Peur de J'ai peur de l'incertitude dans ma vie
J'ai peur de tous les choix que je ferai demain
J'ai peur de mon incapacité à vivre avec eux
J'ai peur de mourir avant de vivre.
TOUARÈGUE
Ide Adamou34
J'ai peur !
J'ai peur !
Oui, je ne vous le cache pas,
je le dis : j'ai peur !
J'ai peur de tous les hymnes que vous chantez
élixirs vomis à tue-tête, poitrine en avant,
j'ai peur de vos drapeaux qui claquent au vent de votre folie
j'ai peur, oui, je vous le dis,
de vos tentes dressées partout
dans les jardins fleuris
J'ai peur de vos jeux d'adultes
dans les allées coutumières
Je sais qu'un jour vous aurez ma peau !
J'ai peur, oui, je vous le dis
J'ai peur de vos mains gantées qui cachent mille cactus
J'ai peur lorsqu'un enfant appelle la vie
dans son berceau glacé
J'ai peur quand il s'extasie
car Je sais qu'un jour
vous aurez sa peau !
VERS RECUEILLIS PAR CHARLES DE FOUCAULD
Kel-Gelah35
Rêverie au clair de lune
Cette clarté de la lune, ô mon méhari brun-rouge,
s'unit bien à ton pas lent et cadencé.
L'œil veut la vue de la personne aimée ; l'amour est un coquin
qui ne fait pas mourir et ne laisse pas vivre.
Oûraghen36
Triple prière
Très-Haut, je tends mes mains vers toi ;
je te fais cent et mille prières ;
Très-Haut, je te demande trois choses :
l'amour des jeunes filles, la vaillance dans les combats,
et le pardon le jour de la résurrection.
Embarek Ouassat 37
Une jupe
Un matin, d'un été assez lointain, j'étais assis à la terrasse d'un café
sur la plage.
J'étais alors étudiant et avais dix-huit ans.
Des baigneurs entraient dans l'eau, sautillant, ayant un peu la
tremblote,
alors que moi, je lisais un journal et jetais, de temps à autre, un
regard à la mer.
Soudain, mon attention fut captivée
par une jupe qui était sortie de derrière un monticule de sable
et venait vers moi, un peu frémissante
et sans personne dedans !
J'ai sursauté de ma chaise, et pressé le pas,
d'autant plus que j'avais la quasi-certitude
que ce n'était pas la première fois que je voyais cette jupe !
Et derrière le monticule, tu te dressais, en maillot de bain,
avec un large sourire aux lèvres, Saloua !
Auparavant, nous n'avions échangé que quelques regards
dans le hall de la faculté, et quelques autres à l'entrée d'une
pharmacie...
Et tu me dis :
C'est ma jupe, je te l'ai envoyée afin qu'elle t'attire jusqu'à moi,
et la voilà qui revient !
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Arlindo Barbeitos : 1940 - 2021 ↩
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trad LS Senghor ↩
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Noureini Tidjani-Serpos : 1946 - - ↩
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Bernadette Sanou Dao : 1952 - 0 ↩
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René Philombé : 1930 - 2001 ↩
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Jean-Baptiste Tati Loutard : 1938 - 2009 ↩
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Salah Jahin : 1930 - 1986 ↩
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Amilcar Cabral : 1924 - 1973 ↩
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Trad Florent Boucharel ↩
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Vasco Cabral : 1926 - 2005 ↩
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Trad Florent Boucharel ↩
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Bernard Dadié : 1916 - 2019 ↩
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Noël X. Ebony : 1953 - 1986 ↩
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Maurice Koné : 1932 - 1979 ↩
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Véronique Tadjo : 1955 - - ↩
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Rachid Boudjedra : 1941 - - ↩
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Abou el Kacem Chebbi : 1909 - 1934 ↩
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Tahar ben Jelloun : 1944 - - ↩
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Abdellatif Laâbi : 1942 - - ↩
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Kateb Yacine : 1929 - 1989 ↩
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Catherine Obianuju Acholonu : 1951 - 2014 ↩
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Akinwumi Isola : 1939 - 2018 ↩
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1947- ↩
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1930- ↩
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Souleymane Diamanka : 1974 - - ↩
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Birago Diop : 1906 - 1989 ↩
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Léopold Sedar Senghor : 1906 - 2001 ↩
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Maxamed Ibraahin Warsame'Hadraawi': 1943 - 2022 ↩
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Ronelda Kamfer : 1981 - - ↩
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Kenya ↩
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Ali Al'amin Mazrui : 1933 - 2014 ↩
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Trad Katriina Ranne ↩
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Wanjiku Mwaurah : 1989 - - ↩
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Ide Adamou : 1951 - - ↩
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Kel-Gelah : 1840 - 1874 ↩
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Oûraghen : 1825 - 1880 ↩
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Embarek Ouassat : 1955 - - ↩